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BLANDINE WALDMANN, DES MOMENTS DE PIANO DANS TOUTE LEUR SPLENDEUR

Posted in Loisir

La pianiste française BLANDINE WALDMANN revient régulièrement vers la musique contemporaine, comme elle l’a fait en 2016 sur Lunaris, le prestigieux album du compositeur suédois résidant à Londres Jonathan Östlund, auquel elle a largement pris part. Le mois dernier, cependant, c’est un enregistrement solo qui est sorti, celui des œuvres prédominantes de l’histoire du piano de ces 150 dernières années, qui sont caractérisées par une complexité d’interprétation peu commune.

Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, trois œuvres magistrales de Brahms et la Sonate pour piano n° 9 de Scriabine constituent donc les titres de l’album intitulé Momentum et édité par le label polonais Dux, qui depuis plus de 25 ans se consacre principalement aux compositeurs polonais classiques et contemporains.

Ces dernières années, la maison de disques a cependant élargi sa sélection à des productions étrangères, et le disque de Blandine Waldmann en est un exemple particulièrement représentatif. Avant de s’intéresser à un répertoire plus classique, cette charmante parisienne a tout d’abord acquis une grande expérience en matière de musique contemporaine. Ceci est d’ailleurs frappant non seulement dans son interprétation de la sonate de Scriabine – ce qui n’est d’ailleurs pas une surprise – mais surtout dans la façon dont elle aborde la musique de Moussorgski. Elle y met en évidence le réalisme psychologique alors révolutionnaire de l’œuvre à l’aide d’éléments impressionnistes, tout en atténuant l’effet criard qui accompagne fréquemment l’exécution de ce morceau. Sous les doigts de Blandine Waldmann, les dix Tableaux d’une exposition entrecoupés de cinq Promenades aux tonalités distinctes donnent naissance à un flot palpitant de récits d’hier et d’aujourd‘hui, d’histoires vraies et inventées.

Le toucher de la pianiste apporte une palette de couleur et d’émotion unique sans pour autant mépriser le passage du temps : au contraire, Blandine Waldmann joue avec une opiniâtreté passionnée pour offrir une variation d’expression et de dynamique. Les tableaux de genre, agréablement allégés, alternent entre explosion d’émotions suggestive et jeu charmeur, tandis que de fugaces étincelles de joie se retrouvent immédiatement absorbées dans un malaise pressant, un plongeon intérieur dans le tragique et la fatalité. On y voit passer la vie et la mort, on y sent monter la tension, on y traverse une intensité sonore.

couverture du disque

La perfection de cet enregistrement culmine évidemment lorsque l’on atteint La Grande Porte de Kiev, présentée comme une célébration hymnique et sobre de la sublimité divine et de la puissance de l’esprit humain. Par endroits, la passion enflammée de l’interprète rayonne jusqu’à investir la musique de toute la féminité qui fait sa force. Blandine Waldmann a choisi, dans les Variations sur un thème de Paganini, op. 35 de Johannes Brahms, le deuxième cahier, qui date de 1863. Les quinze variations sur les thèmes du 24e caprice, op. 1 de Niccolò Paganini ne perdent nullement en profondeur d’émotion, et son interprétation égale très souvent l’insistance et l’élan propre à Liszt.

Par ailleurs, elle exécute les Intermezzi op. 117 composés par Brahms en 1892 avec une légèreté et un naturel incroyable, car elle sait – avec toute la grâce qui la caractérise – distiller de chaque note un son inhérent à la délicieuse mélodie. On y goûte tout aussi pleinement les saveurs automnales qui ont été source d’inspiration pour ce morceau. Enfin, en guise de bouquet final, Blandine Waldmann nous sert la septième pièce (Capriccio d moll) des Fantaisies op. 116, qui ne dure que deux minutes et demi, mais que l’intensité, l’urgence et la richesse des nuances d’expression et de couleur naissant sous les doigts de la pianiste transforment en un diamant parfaitement taillé.


Même si cela semble incroyable, Blandine Waldmann rivalise presque avec l’expression de Terry Riley dans ses œuvres tardives, y compris dans ses teintes de jazz.Mais c’est la dernière pièce de l’album qui en constitue le zénith. Il s’agit de la Sonate pour piano n° 9, op. 68 composée en 1912-1913 par Alexandre Scriabine, père de la musique russe moderne. Extrêmement expressive, cette œuvre de presque neuf minutes aussi appelée Messe noire évoque tout d’abord une lamentation distante et profonde jouée avec beaucoup de délicatesse et de mystère. Mais la pianiste fait petit à petit monter la tension et augmenter l’intensité des tons pour les laisser exploser dans des druses d’accords magmatiques. Elle travaille sur des thèmes passionnels sans pour autant éluder le grotesque, dont elle ne diminue nullement la suggestivité ni l’urgence : au contraire, l’accumulation changeante, le gonflement, le bouillonnement, la métamorphose des notes nous conduit à une apogée presque brutale.


C’est tout ce qu’il y a de plus contemporain !


Nous disposons d’un enregistrement, déniché sur YouTube, de l’interprétation par Blandine
Waldmann de la Sonate pour piano n° 9 de Scriabine précédée de la Douzième étude d’exécution transcendante de Liszt. Il date de 2012 et nous offre la preuve que cette œuvre, que les pianistes qualifient d’extrêmement ardue, s’est sous les doigts de Blandine Waldmann épanouie comme une magnifique rose noire…

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Traduction : Anaïs RAIMBAULT Revue de presse originale